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    Si seul dans sa tête depuis qu’il est si vieux et une idée bien ancrée : retrouver sa maison pour y vivre tranquille sans autre compagnie que lui-même.

    Il y a trois semaines j’ai dû prendre la décision que je redoutais entre toutes : mettre mon père dans une maison de retraite parce que, même avec une aide à la maison, il n'est plus possible de lui apporter les soins nécessaires.

    Difficile d’affronter tant de difficultés à la fois, sauf à y laisser toutes ses plumes.

    Difficile d’admettre que l’on est arrivé au bout de ce que l’on peut faire pour l’être cher sans se détester soi-même.

    Voilà donc mon père, cet inquiet, amené à vivre la fin de son existence au contact de ses vieux semblables, entouré d’une équipe qui le soigne, l’assiste et bien plus encore. Mais ce n’est pas un docile mon père, il discute, il refuse, il tergiverse, on ne lui impose rien, il décide, et tout ça l’entraîne dans une agitation de sentiments contradictoires qu’il exprime longuement à chacune de mes visites : « mais je suis très bien ici ; les cuisinières sont exceptionnelles ; le médecin ne vaut rien, je ne l’aime pas, il se fiche pas mal de ma santé ; je dors bien ; les infirmières me donnent des médicaments dont elles ne me disent même pas le nom, et ça ne me plait pas du tout. Ils attendent que je meure, toi aussi d’ailleurs tu n’attends que ça… »

    Comment l’aider à vivre mieux ? Je ne sais pas. Il semble qu’être heureux lui soit devenu impossible.

     

     

    Mon père

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marc Chagall - Autoportrait

     

    Vieillesse

    Soirs ! Soirs ! Que de soirs pour un seul matin !
    Ilots épars, corps de fonte, croûtes !
    On s'étend mille dans son lit, fatal déréglage !

    Vieillesse, veilleuse, souvenirs : arènes de la mélancolie !
    Inutiles agrès, lent déséchafaudage !
    Ainsi, déjà, l'on nous congédie !
    Poussé ! Partir poussé !
    Plomb de la descente, brume derrière...
    et le blême sillage de n'avoir pas pu Savoir.

    Henri Michaux - Poème extrait de « Plume » (1938)

     

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    Comme si de rien n'était

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    C’était à la mi-décembre, seule, une dernière feuille, frêle dans le vent, frissonnait encore aux branches du vieux tilleul. Mon regard creux s’attardait  sur ce tout petit fanion couleur de rouille, attendant sans en avoir conscience, l’instant qui scellerait son retour à la terre-mère.

    Accoudée à la table je songeais à ma douce maman hospitalisée depuis la veille, par précaution avait dit le médecin.

    Confiante je l’avais laissé partir... et puis Noël est arrivé qui m’a brisée.

     

    Comme si de rien n'était

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Aujourd’hui, accoudée à la même table, je regarde le soleil d’hiver monter tranquillement dans les brumes du matin. Je le regarde traverser la guipure des rideaux et dessiner sur la toile cirée une insaisissable dentelle d'ombre.

     

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