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    Après quatre mois passés dans la maison de mon père me voici à nouveau loin de lui avec ce fichu sentiment d’avoir abandonné qui grignote insidieusement l’esprit.


    Depuis quelque temps il était sombre, peu bavard, mécontent de tout et de tous, rapportant des cancans alors qu’il n’établit plus de contacts avec autrui, ou très peu.


    Etait-ce parce que le moment de mon départ approchait ? L’inquiétude a parfois de mauvaises résonances. Comment savoir ?


    Mon père fut, du moins jusqu’à la soixantaine, un être étonnant, rebelle, d’humeur changeante souvent joyeuse, dont la nature artiste, contrariée par le veto de parents qui le rêvaient, disons… ecclésiastique, ne put vraiment s’épanouir. Avec la vieillesse vint la rancoeur et les regrets commencèrent à grandir jusqu’à devenir omniprésents. Je devinais, ressentais, désarmée, ses tourments comme s’ils étaient les miens. Il devint désagréable, blessant souvent ses interlocuteurs par son cynisme.


    Aujourd’hui ma mère s’en est allée, il a dû quitter sa maison, il est seul et semble ne plus aimer personne, retranché qu’il est dans sa bogue. A chacune de mes nombreuses visites de cet été il n’a cessé de m’accueillir avec l’attitude et les mots de quelqu'un que l’on dérange, "pourquoi viens-tu si tôt, ou si tard, pourquoi viens-tu, tu n’es pas obligée ? tu peux disposer !"

    Une façon de transmettre son mal-être ? de faire de la peine ?
    Peut-être. Peut-être pas. N’importe ! Depuis toujours je l’aime comme ça, mon petit père et j'ai si peur pour lui qui est si loin !

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire"

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    Et puis rentrer à la maison

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il va falloir partir et je n’en ai pas envie, quitter cette maison, la fermer jusqu’au printemps sans doute. Laisser mon père, ne pas le voir pendant quelques mois, même à Noël, me glace. Je dois m’y résoudre pourtant. Mais ne passe-t-on pas son temps à contre-courant de soi, de ses aspirations ?


    Quand il fait beau et bleu comme aujourd’hui, quand la lumière saupoudre l’or sucré de son miel sur mes vieilles montagnes, il me semble ne jamais pouvoir m’arracher à cette harmonie dans laquelle il est si doux de se fondre.


    Court bonheur, une île sur l’océan que chahutent des vents contraires. Cet après-midi mon père s’est agacé de ma visite, j’ai dû parler longtemps avec lui pour calmer sa rancœur contre tout, contre tous. Sa rapidité à s’emporter reste intacte et me surprend toujours. D’autres fois je l’ai trouvé plus tranquille, presque content d’être dans cette maison de retraite à laquelle, jour après jour il paraît s’habituer. Mais que d’idées insensées s’agitent dans cet esprit compliqué !

     

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    Petites folles, grandes enfants

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Nos deux p’tits cœurs Maman, le tien, le mien, comme avant lorsque, dans la lumière de nos regards accordés, passait la douce caresse du plus qu’amour.

     

    Petites folles, grandes enfants

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Je pense à toi aussi mon père tourmenté par la vieillesse, toi qui m’a tant malmenée, rejetée, désaimée sans le vouloir vraiment. Dans peu de temps je reviendrai dans la maison où tu n’es plus. Mais ta nouvelle maison est si proche que je pourrai t’y retrouver chaque après-midi si tu veux.

     

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    Retrouvé à contre-cœur la côte languedocienne. Peu importe qu’ici le soleil joyeux colorie la rue, les passants, les arbres et les jardins quand le cers vente comme un fou trois jours sur six et ôte toute envie de grand air.

    Depuis quinze jours me voici de retour chez moi, loin de mon père resté dans cette maison de retraite que nous avons trouvée, non sans mal, après trois semaines d’hospitalisation.

    Je l’y ai laissé, rassurée de le savoir entouré, dans un endroit où il se plait, au milieu des vieilles montagnes qu’il affectionne, à la naissance d’une des plus douces vallées qui soient.

    Rassurée mais aussi inquiète de tout ce qui pourrait arriver à ce vieux corps sec, à cette âme souffrante que la moindre parole abîme.

    En juin je reviendrai, je le reverrai mon père. Je retournerai dans la maison vide et froide où ma pensée glisse inlassablement. J’ouvrirai grand les fenêtres à la chaude lumière de l’été retrouvé et sourirai aux jours anciens.

     

    et tout est dépeuplé

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Magritte extrait lithographie La Voix du Sang 1959

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    Si seul dans sa tête depuis qu’il est si vieux et une idée bien ancrée : retrouver sa maison pour y vivre tranquille sans autre compagnie que lui-même.

    Il y a trois semaines j’ai dû prendre la décision que je redoutais entre toutes : mettre mon père dans une maison de retraite parce que, même avec une aide à la maison, il n'est plus possible de lui apporter les soins nécessaires.

    Difficile d’affronter tant de difficultés à la fois, sauf à y laisser toutes ses plumes.

    Difficile d’admettre que l’on est arrivé au bout de ce que l’on peut faire pour l’être cher sans se détester soi-même.

    Voilà donc mon père, cet inquiet, amené à vivre la fin de son existence au contact de ses vieux semblables, entouré d’une équipe qui le soigne, l’assiste et bien plus encore. Mais ce n’est pas un docile mon père, il discute, il refuse, il tergiverse, on ne lui impose rien, il décide, et tout ça l’entraîne dans une agitation de sentiments contradictoires qu’il exprime longuement à chacune de mes visites : « mais je suis très bien ici ; les cuisinières sont exceptionnelles ; le médecin ne vaut rien, je ne l’aime pas, il se fiche pas mal de ma santé ; je dors bien ; les infirmières me donnent des médicaments dont elles ne me disent même pas le nom, et ça ne me plait pas du tout. Ils attendent que je meure, toi aussi d’ailleurs tu n’attends que ça… »

    Comment l’aider à vivre mieux ? Je ne sais pas. Il semble qu’être heureux lui soit devenu impossible.

     

     

    Mon père

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marc Chagall - Autoportrait

     

    Vieillesse

    Soirs ! Soirs ! Que de soirs pour un seul matin !
    Ilots épars, corps de fonte, croûtes !
    On s'étend mille dans son lit, fatal déréglage !

    Vieillesse, veilleuse, souvenirs : arènes de la mélancolie !
    Inutiles agrès, lent déséchafaudage !
    Ainsi, déjà, l'on nous congédie !
    Poussé ! Partir poussé !
    Plomb de la descente, brume derrière...
    et le blême sillage de n'avoir pas pu Savoir.

    Henri Michaux - Poème extrait de « Plume » (1938)

     

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    Comme si de rien n'était

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    C’était à la mi-décembre, seule, une dernière feuille, frêle dans le vent, frissonnait encore aux branches du vieux tilleul. Mon regard creux s’attardait  sur ce tout petit fanion couleur de rouille, attendant sans en avoir conscience, l’instant qui scellerait son retour à la terre-mère.

    Accoudée à la table je songeais à ma douce maman hospitalisée depuis la veille, par précaution avait dit le médecin.

    Confiante je l’avais laissé partir... et puis Noël est arrivé qui m’a brisée.

     

    Comme si de rien n'était

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Aujourd’hui, accoudée à la même table, je regarde le soleil d’hiver monter tranquillement dans les brumes du matin. Je le regarde traverser la guipure des rideaux et dessiner sur la toile cirée une insaisissable dentelle d'ombre.

     

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    David Hockney - Autoportrait

     

    Il est fâché avec les jours, avec le temps, avec minuit aussi qu’il proclame midi, se levant au milieu des ténèbres, étonné de me voir debout si tôt moi qui ne me suis pas encore couchée.

    Sous ses doigts approximatifs les feuillets de l’éphéméride s’envolent par deux, par trois m’obligeant à réajuster en permanence ce temps qui le dépasse et tous ces jours qu’il escamote, que je remplace par des post-it auxquels je le renvoie encore et encore.

    Savoir où il en est de ces journées dont le nom, la date, le mois lui échappent reste sa préoccupation permanente.

    Il n’a plus confiance au calendrier, pas davantage aux informations qui lui sont données, il n’est sûr que de lui-même alors il peste, contre-peste, rouspète, grogne et se renfrogne, malheureux de ne plus avoir raison face aux choses les plus simples.

     

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    Toutes ces portes étroites qu'il faut passer pour arriver à l’instant fatidique de la naissance inverse !

    Après avoir passé celle de l’inactivité forcée, puis celle de l’interminable ennui, c'est ensemble que mes parents abordent le passage étréci qui doucement les mène aux rives embrumées du détachement, je n’ose dire de l’indifférence.

    Bibi qui ne veut rien voir fait l’autruche de plus belle... 

    Difficile d’admettre cette fatalité-là.

    Et l’image que renvoie ce malveillant miroir me glace.

     

    Les portes

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Kaléidoscope
     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Le miroir est brisé et ses morceaux épars
    Comme l'oeil d'une mouche au multiple regard
    M'observe.


    Ô petits éclats d'âme
    Etoilant le tapis
    Miroir enfin fidèle à mon reflet pâli.


    Puzzle cruel d'un visage éclaté
    Stupeur
    De voir sur ce tapis les morceaux de sa peur.

     

    Kaléidoscope

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

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    Sourire, et rire, et rigoler, se marrer, se gondoler, se tordre avant de pleurer, pire, avant de mourir, de rire.

    Je retire...

    Il fait beau, tout est fou rire.

     

    Rires roses et soleil pareil

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Merveilleux sourire de la Jeune fille de Fragonard

     

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    Couleurs quand même

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Depuis des jours une pluie froide verse inlassablement sa tristesse sur les ultimes blondeurs végétales. Pâlis, décolorés, les rouges, les ors derniers ne chantent plus. Tout s’éteint. La belle forêt primaire se désenchante. Qu’importe puisque l’harmonie est parfaite, tout en demi-tons, demi-teintes. La couleur de nos pensées.

    Mes parents sont dans leur silence, l’un tranquille, l’autre sombre et morose. Je ne peux rien pour eux, seulement les regarder s’étioler jour après jour. Mon père rejette toujours mon aide. Pourtant il lui est désormais impossible de faire les choses les plus simples. Son comportement me préoccupe beaucoup et c’est peu dire.

    Alors je rêve aux grands perroquets de Guyane, ces somptueux aras dont le ramage n’est que tapage, qui grincent,  rauquent, vacarment à longueur de temps, mais à qui l’on pardonne tout de leurs cris incessants. Ne sont-ils pas la presque perfection ?

     

    Couleurs quand même

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Du rouge au vert tout le jaune se meurt

    Quand chantent les aras dans les forêt natales

    Guillaume Apollinaire

     

     

    Couleurs quand même

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Et le perroquet de Marc Chagall

     

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    Des traces d'été

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Aujourd’hui est un joli jour dans lequel ni l’un ni l’autre de nous trois n’est entré à reculons.

    Le soleil vient de surgir au-dessus de la montagne, à travers la ligne dentelée des sapins à portée de main. Le ciel laiteux se craquelle et nous offre le bleu. Pas de vent, pas même un soupir.

    Tout à l’heure mon père mettra son chapeau puis il ira s’asseoir dans le jardin, sous le feu adouci de Phoebus, avec son rêve d’un été qui ne finirait jamais.

    Ma mère sortira un instant devant la porte de la maison puis vite retournera à son fauteuil, oubliant déjà le beau temps, la lumière et la douceur de l’air.

    Quant à moi je prendrai un panier et m’en irai cueillir les pommes du vieux pommier.

     

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    Un très gros bouquet de fleurs

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marc Chagall - Fiancés dans le ciel de Nice

     

    Aujourd’hui, soixante-sept ans de mariage pour mes parents.

    L’un n’a pas semblé y penser tandis que l’autre, ma petite mère dont les idées à peine nées s’envolent, m’en a parlé dès le matin.

    Soixante-sept ans d’éternité à vivre ensemble leurs multiples différences, leurs quelques goûts communs dans un attachement toujours plus fort.

     

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    Longueur de temps

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Voir les jours et les semaines s’enfuir. Du bout des cils effleurer le temps qui s’envole. Etre désarmée face à l’immense ennui que me renvoient mon père et ma mère, lesquels ne semblent plus être bien nulle part et m’entraînent dans une sorte de pays gris d’où rien n’émerge.

    On peut si peu de choses finalement. Je voudrais être la fée bleue, le bon génie qui tout aplanit.


    Mais qu’il est difficile à accepter le lent travail des ans qui décolore, ternit, estompe jusqu’à l’effacement la réalité des êtres aimés, ceux qui furent si heureux un jour de nous offrir le monde et s’en vont doucement, sur la pointe des pieds, dans une ultime révérence à la vie.


    Pour eux je voudrais tout, et même plus, mais le long, l’invincible ennui où ils se perdent est bien plus fort que ma volonté.

     

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    "Il automne" Barbara...

    Que les beaux jours sont courts ! Fini la torpeur des après-midi d’été. Il pleut lentement, à petits pas légers sur le jardin défleuri, les feuilles incertaines. Doux pleur. Murmure exquis de la pluie.


    Ici, sous des dehors trompeurs, tout pleure aussi. Mon père semble s’abandonner à ma sollicitude mais ses habituelles sombres pensées reviennent bien vite le tarabuster. Ma petite mère est là, dans son fauteuil, son visage clair garde l’empreinte de son beau sourire. Malgré mes invitations elle ne veut plus jamais sortir. Elle le pourrait pourtant mais c’est comme si plus rien ne la concernait vraiment. Et je dois me rendre à cette évidence-là : contrairement à papa, maman n’est plus partie prenante de la vie.


    Tout est douloureux, tout fait mal. Dans la tête, retenu, un torrent de larmes. Dans les yeux ? Un souris bien sûr… 

     

    Gouttes de pluie

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Claude Monet - Pluie à Belle-Île

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    Nous avons chacun une vision des choses qui rejoint celle de tous lorsqu’il s’agit d’envisager les dernières régions de l’existence. Ces contrées de brumes et de cendres, ces rivages au bord du vide qui nous attend. Nous, et ceux pour qui nous tremblons. Mais à imaginer l’avenir on se trompe bien souvent.

    J’ai voulu croire qu’il suffirait d’affection et de détermination mais ce n’était pas suffisant. Que ma présence, ma bonne volonté, pourraient tout. Pas suffisant non plus.

    Présomptueuse, j’ai minimisé les difficultés inhérentes à mon choix de prendre en charge mes deux parents et maintenant  je suis là, à poursuivre ma brasse laborieuse dans un tourbillon de courants contraires.

    Sans doute devrais-je tenir compte des recommandations de ceux qui, peut-être, savent. Unanimes, ils me disent qu’il faut penser à soi, qu’on ne peut pas autant délaisser sa propre vie, que les personnes âgées sont souvent  très égoïstes… Et écouter la petite voix persistante qui m’habite et me répète que je suis une cruche déguisée en cloche.

    Pourtant je n’ai aucun regret car rien ne semble pouvoir réduire le fol élan qui me pousse.

     

    Le plus longtemps possible

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Marc Chagall - Au-dessus de la ville

     

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