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Partout le bruit de l’eau qui goutte, dégoutte des chéneaux, des noues, des linteaux. L’hiver, enfin, se dissous et transforme en haillons sa houppelande d’isatis. De larges et laides taches d’herbe aplatie, décolorée par tous ces jours passés dans la blanche obscurité reviennent à la vie.
Surtout ne pas manquer le rendez-vous avec les perce-neige ! Par je ne sais quel miracle, chaque hiver, leurs petits visages penchés parviennent à s’affranchir de la couverture gelée et à se hisser jusqu’à nous qui les attendons.
J’invite ma petite maman à faire quelques pas au grand air mais ma proposition reste sans écho. Elle n’en a pas envie et ça m’attriste plus que tout. Je mesure combien son désir de me faire plaisir s’émousse. Il y a peu de temps encore elle m’aurait accompagnée avec joie tout simplement pour être avec moi.
Depuis mon retour, statu quo avec mon père. Rien ne va plus mal mais rien ne va mieux. Pendant mon absence j’ai pu reconstituer mes réserves de patience et d’écoute, deux qualités capitales pour cohabiter au mieux avec mon singulier pater. J’aimerais tant qu’il retrouve l’insouciance à laquelle ils nous avaient habitués mais qui ne reviendra plus jamais.
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Vilhelm Hammershoi
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure
Seuls les rideaux, tandis que la chambre est obscure,
Tout brodés, restent blancs, d'un blanc mat qui figure
Un printemps blanc parmi l'hiver de la maison.
Sur les vitres, ce sont des fleurs de guérison
Pareilles dans le soir à ces palmes de givre
Que sur les carreaux froids les nuits d'hiver font vivre.
Et dans ces floraisons de guipure on croit voir
Tous les souvenirs blancs parmi le présent noir[...]
Georges Rodenbach
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Que faire quand on ne sait plus trop quoi faire ?
Naviguer à vue ? Là où je suis, la brume est si dense qu’elle étouffe, donne le vertige jusqu’à faire peur.
Dans quelques très courts jours je serai de retour auprès de mes parents. Les nouvelles qui arrivent sont alarmistes.
Mon vieux père est de plus en plus querelleur et rebelle m’a-t-on dit. Moi qui avais rêvé de le retrouver quelque peu adouci et apaisé je dois me rendre à l’évidence. Ce n’est pas pour demain.
Il faut absolument que je me forge le caractère pour supporter au mieux les lubies de mon drôle de pater.
Que d’appréhensions à l’idée de revenir vers lui qui n’en finit pas de me repousser !
Surtout ne pas répondre aux constantes petites provocations. Garder son self-contrôle afin d’éviter les paroles désagréables que l’on regrette dans la seconde qui suit.
Oui, rester dans le contrôle permanent de soi. Quel défi !
Mais toi petite mère je sais que tu m’espères, alors peu m’importe le rose ému des fleurs de l’amandier, les petits soleils du mimosa dans l’air azurissime, je reviens vite vers toi.
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Écureuil du printemps, écureuil de l'été, qui domines la terre avec vivacité, que penses-tu là-haut de notre humanité ?
- Les hommes sont des fous qui manquent de gaîté.
Écureuil, queue touffue, doré trésor des bois, ornement de la vie et fleur de la nature, juché sur ton pin vert, dis-nous ce que tu vois ?
- La terre qui poudroie sous des pas qui murmurent.
Écureuil voltigeant, frère du pic bavard, cousin du rossignol, ami de la corneille, dis-nous ce que tu vois par-delà nos brouillards ?
- Des lances, des fusils menacer le soleil.
Écureuil, cul à l'air, cursif et curieux, ébouriffant ton col et gloussant un fin rire, dis-nous ce que tu vois sous la rougeur des cieux ?
- Des soldats, des drapeaux qui traversent l'empire.
Écureuil aux yeux vifs, pétillants, noirs et beaux, humant la sève d'or, la pomme entre tes pattes, que vois-tu sur la plaine autour de nos hameaux ?
- Monter le lac de sang des hommes qui se battent.
Écureuil de l'automne, écureuil de l'hiver, qui lances vers l'azur, avec tant de gaîté, ces pommes... que vois- tu ?
- Demain tout comme Hier. Les hommes sont des fous et pour l'éternité.Paul Fort - Les Ballades françaises - L'écureuil - (1917 après trois ans de 1ère guerre mondiale)
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David Hockney - Mother
Revenir chez soi pour peu de temps, après longtemps, c’est déroutant !
On voudrait entreprendre mille choses importantes. A quoi bon !
Tout vous appelle, vous interpelle, mais le temps rétréci vous fige, fait de vous une pintade sans ailes.
Bientôt, tout à l’heure, il faudra repartir.
En décidant de tout sacrifier à vos parents vous n’avez pas choisi la quiétude, c’est sûr. D’ailleurs vous n’avez rien choisi du tout. Depuis toujours vous saviez que le moment venu vous iriez avec eux jusqu’au bout du possible, faisant fi de tout ce que cela comporte de doutes, d’incertitudes.
Et c’est ainsi que vous avancez aujourd'hui, dans une sorte de pénombre brumeuse, parmi les incompréhensions, la mauvaise volonté, les difficultés en embuscade.
Vous rêvez souvent d’être ailleurs, sans soucis, sans contraintes, mais y êtes-vous que vous n’avez qu’une idée : retrouver vos chers, vieux et si fragiles parents.
Toi petite Mère qui, par-delà la distance, me parles à l’oreille doucement. Attendant mon retour sans impatience hélas, car l’impatience aussi t’a abandonnée. Vite retrouver ton doux sourire à la croisée de nos regards.
Et toi mon impossible père, si obstiné à rester ce que tu étais, si rétif à toute aide, à toute tendresse mais que je comprends comme un autre moi-même. Pardon de passer outre à beaucoup de tes exigences.
Pierre Soulages - Lumière Noire
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Je fis un feu, l'azur m'ayant abandonné,
Un feu pour être son ami,
Un feu pour m'introduire dans la nuit d'hiver,
Un feu pour vivre mieux.Je lui donnai ce que le jour m'avait donné :
Les forêts, les buissons, les champs de blé, les vignes,
Les nids et leurs oiseaux, les maisons et leurs clés,
Les insectes, les fleurs, les fourrures, les fêtes.Je vécus au seul bruit des flammes crépitantes,
Au seul parfum de leur chaleur ;
J'étais comme un bateau coulant dans l'eau fermée,
Comme un mort je n'avais qu'un unique élément.[...]
Paul Eluard
La Fuite...
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Samedi dégoulinant d’ennui, d’inutile présence entre mon père qui navigue parmi ses habituelles révoltes et ma petite mère qui oublie d’un instant à l’autre la plupart des menus faits de son quotidien.
Ma petite mère dont les yeux se mouillent parfois devant la bataille perdue d’avance que mène son époux contre cette satanée vieillesse.
Van Gogh - Au Seuil de l'Eternité - 1890
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Il y pensa beaucoup.
Puis il y pensa moins.Il y pensa très peu.
Puis il n’y pensa plus.Il trouva même très drôle
d’y avoir tant pensé.
Puis ne pensa plus même
qu’il y pensa jamais.
Norge
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Un nouvel hiver commence. Un deuxième hiver que je me prépare à passer auprès de mes parents âgés, affaiblis, dans mon pays de vieilles montagnes et de neige.
J’avais presque oublié cette saison qui transforme le paysage, le fait redécouvrir.
Chaque volume, chaque trait, adouci, arrondi, se métamorphose sous l’incroyable matière qui relie, unifie, estompe, gomme.
Presque oublié aussi, le froid. Le grand. Quand chaque membre du corps a mal et semble se rétrécir. Ce froid qui dessine dans la tête la flamme claire et pétillante d’une bûche de châtaignier dans l’âtre qui rougeoie.
Le rude hiver qui fait peur je l’ai gardé dans mon cœur. Le retrouver me rappelle qui je suis. Me dit que mes racines descendent bien plus bas que la plus profonde des sources de ce pays.
Après trois jours de chutes de neige, divine surprise, j’ai entendu, pour la première fois depuis dix-huit mois, mon père se réjouir de ma présence et de mon aide.
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Le vieux et son chien
S'il était le plus laid
De tous les chiens du monde,
Je l'aimerais encore
A cause de ses yeux.Si j'étais le plus laid
De tous les vieux du monde,
L'amour luirait encore
Dans le fond de ses yeux.Et nous serions tous deux
Lui si laid, moi si vieux,
Un peu moins seuls au monde,
A cause de ses yeux.Pierre Menanteau
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Il n’y a rien à dire si j’ose dire. Rien à dire ?
Tout est désormais nouveau, à découvrir. Un jour, le grand âge des nôtres nous frappe de plein fouet et laisse bouche bée, sonné, l’enfant qui demeure en nous.
On finit toujours par envisager sa propre déchéance. Sans aucun fard. Mais curieusement cette idée-là n’est presque rien au regard du déclin, sous ses yeux, jour après jour, de son vieux père, de sa douce vieille mère.
C’est une douleur de chaque instant dont le seul remède semble être dans la bienveillance, l’attention constante, la prévenance, la patiente tendresse. Mais quoi que l’on fasse l’insatisfaction est omniprésente. On ne se résout pas facilement au sentiment du « plus jamais », de la finitude.
Pourtant, un éclat plus vif dans le regard qui dit le plaisir, un sourire attrapé au vol, un geste esquissé d’abandon et tout repart. La vie est re-belle.
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Je mets beaucoup d'ordre dans mes idées.
ça ne va pas tout seul :
Il y a des idées qui ne supportent pas l'ordre
Et qui préfèrent crever.
À la fin j'arrive à avoir beaucoup d'ordre,
Et presque plus d'idées.
Norge
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N’être plus qu’un esprit ouaté sur l’air opaque de ce matin de brume.
Les coudes sur la table du petit-déjeuner, les mains tenant mollement un bol de café noir, le regard tourné vers la fenêtre qui m’offre la maussade réalité de l’automne, je ne parviens pas à me glisser dans ce jour qui commence. Que sera-t-il ?
Au plus profond de son automne personnel mon père s’enrage à propos de tout. Alors ne rien dire. Ne pas répondre. Ne pas sourire non plus car voici que tout sourire est devenu suspect.
Donner tout ce qu’il est possible de donner, d’aide, d’affection, de tendresse aux êtres que nous aimons le plus et s’apercevoir que cela génère l’inverse de ce que l’on espérait est un troublant constat.
N’être plus qu’un cœur, une plume légère sur les misères du temps...
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Bleu de bleu
Quand j’ai besoin de bleu,
Quand j’ai besoin, de bleu, de bleu,
De bleu de mer et d’outre-mer,
De bleu de ciel et d’outre-ciel,
De bleu marin, de bleu céleste ;
Quand j’ai besoin profond,
Quand j’ai besoin altier,
Quand j’ai besoin d’envol,
Quand j’ai besoin de nage,
Et de plonger en ciel,
Et de voler sous l’eau ;
Quand j’ai besoin de bleu
Pour l’âme et le visage,
Pour tout le corps laver,
Pour ondoyer le cœur ;
Quand j’ai besoin de bleu
Pour mon éternité,
Pour déborder ma vie,
Pour aller au-delà
Rassurer ma terreur
Pour savoir qu’au-delà
Tout reprend de plus belle ;
Quand j’ai besoin de bleu,
L’hiver,
Quand j’ai besoin de bleu,
La nuit
J’ai recours à tes yeux.
Jean MOGIN
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Joli jour de novembre, matin glacé, paysage raidi. Puis voici le soleil, plus tout à fait en majesté mais prêt à nous tisser de lumineuses et froides heures.
Comme il est doux ce profond de l’automne lorsque vents et tourbillons, bourrasques, brumes et brouillards - tous ces vilains b - nous oublient ! lorsque l’antichambre de l’hiver s’inspire du printemps qui nous attend tapi dans le moindre brin d’herbe !
Retour aux saisons oubliées de l’enfance, à ces émotions de tous les sens, fortes, étourdissantes.
C’est la fin d’une courte après-midi. Le soleil s’attarde un instant sur les hauteurs, le temps d’embraser une dernière fois l’or des bouleaux, des sycomores. Commence alors sa mystérieuse course à l'envers ainsi qu’un incroyable crépuscule de cendre et de sang.
Pissarro - Gelée blanche à Ennery
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